Hockey De Rue
Chapitre 1
Bang! Bang! Bang!
Le bruit m'a effrayé sur le coup, puis je me suis retourné et j'ai vu ce garçon vêtu d'un chandail de hockey bleu fonce et coiffé d'une tuque noire. Il me regardait à travers le grillage métallique qui entoure la patinoire et frappait à coups redoubles sur la bande avec son bâton. J'allais lui faire un doigt d'honneur et ficher le camp lorsqu'il m'a lancé :
-Hé ! Peux-tu nous renvoyer la rondelle?
Il a hoche la tête en désignant un garçon qui l'accompagnait.
-Ce loser n'est pas capable de lancer comme du monde.
Son compagnon était vraiment taille comme une armoire à glace et portait le même chandail.
-C'est pas si facile de faire dévier la rondelle et de l'envoyer par-dessus la clôture, a-t-il dit en riant. C'est un coup de champion.
-Arrête un peu, a repris le premier. Tu pourrais essayer encore un million de fois sans y arriver.
Je ne sais pas pourquoi je les ai aidés. Vraiment pas. J'étais frigorifie et je mourais de faim. De toute la journée, je n'avais mangé qu'un sac de chips. Qu'est-ce que j'avais à faire avec une bande de reglos?
C'est ainsi que les rats de cave appellent les jeunes ordinaires, ceux qui vont à l'école et ont des parents, qui jouent au hockey et ne vivent pas dans la rue. Bon, en fait je ne vis pas exactement dans la rue. J'habite à la cave, avec Lewis, Rigger et tous les autres Rats de cave.
-Elle est la-bas, près de la camionnette bleus, je crois, a indiqué le garçon qui m'avait appelé. Peux-tu jeter un coup d'œil? Avec les patins, on ne peut pas aller sur le trottoir.
J'ai enfoui mes mains dans mes poches. Un imbécile avait volé mes gants la nuit précédente, les mains allaient me tomber à terre. Lewis m'avait dit un jour que ce n'est pas la rue qui nous tue, c'est le froid. Moi je crois que c'est la faim, mais je n'ai rien répondu parce qu'il est beaucoup plus âgé que moi et qu'il n'aime pas qu'on le contredise.
J'ai trouve la rondelle près des pneus de la camionnette et les reglos m'ont applaudi.
-Renvoie-la par-dessus la clôture. Et merci! On te revaudra ça.
Un troisième joueur est arrivé. Il portait le même chandail que les deux autres. Ils devaient jouer dans la même équipe.
-Alors, vous l'avez ou pas? À-t-il demandé d'une voix impatiente. On se la gèle, là.
-On l'a, on l'a, a répondu le gros. Garde la tête froide!
-C'est justement le problème, a grogné l'autre. Elle est en train de virer en glaçon.
J'ai lancé la rondelle le plus loin possible sur la glace. Le mouvement m'a fait du bien. Deux des garçons se sont précipités pour l'attraper. Celui qui m'avait parlé a encore donné un coup de son bâton sur la bande.
-Merci encore. Si tu habites dans le coin, tu pourrais venir jouer avec nous. On est ici presque chaque jour après l'école.
Il m'a tourné le dos pour rejoindre les autres. Ce n'était pas tous les jours que je rencontrais quelqu'un d'aussi chaleureux.
Curieux, comme je pouvais détester le hockey à ce moment-là.j'avais aimé ça, autrefois. J'avais fait partie d'une véritable équipe, je m'exerçais à la patinoire de l'école et aussi dans la ruelle. Et, de voir ces jeunes s'entraîner ainsi, j'en avais le cœur lourd. Les gargouillis de mon estomac, cependant, étaient une raison suffisante pour tourner les talons. Si je ne trouvais pas très vite quelque chose à manger, j'allais m'évanouir.
J'ai essayé de me rappeler quand j'avais joué pour la dernière fois. C'était bien avant la mort de ma mère, c'est certain. Peut-être juste avant notre déménagement a Brentwood, lorsqu'elle avait perdu son emploi à l'usine de pièces automobiles.
D'habitude, je mefforcais de ne pas penser à elle, ça me donnait le cafard. Une fois, j'ai même pleuré et un des Rats de cave, Will, s'est moqué de moi. Tous les autres sont partis à rire en me traitant de gros bébé. À présent que j'étais seul, je pouvais me laisser aller un peu
Ron avait trouvé un travail à mi-temps à Brentwood et nous y sommes donc allés. Je n'ai jamais ou supporter cet imbécile et je me suis toujours demandé pourquoi ma mère l'avait pris pour compagnon. Elle disait qu'elle se sentait seul, après le départ de mon père, et que Ron la faisait rire. Moi, il ne m'a jamais fait rire. Pas une fois.
J'étais avec maman dans sa chambre d'hôpital lorsqu'elle l'a supplié de prendre soin de moi après sa mort, car elle n'avait personne d'autre. Les médecins lui avaient dit que son cancer était trop avancé. Je me suis mis à pleurer et Ron a dit: Il l'a dit, je l'ai entendu.
Tels ont été ses derniers mots. Elle s'est endormie, à jamais. Elle n'a pas même rouvert les yeux. Le cancer l'avait emportée. Même si la mort ne remontait qu'à un peu plus d'un an, il ne semblait parfois qu'elle avait eu lieu il y a un million d'années - ou d'autres fois qu'elle datait de la veille.
Ron était un menteur. Il a disparu dès le lendemain de la mort de maman, se sauvant tout comme l'avait fait mon père. Je me suis réveillé ce matin-là, et il n'était plus là. J'ai fait griller des toasts, même si le pain était complètement rassis. Puis j'ai entendu quelqu'un frapper à la porte. J'ai pensé que c'était Ron et j'ai crié :
La porte est ouverte, idiot!
Mais le vacarme a continué jusqu'à ce que j'aille ouvrir. C'était le propriétaire, le visage rouge et les yeux remplis de colère.
-Je le savais, que vous étiez des bons à rien! S'est-il écrié. J'ai été stupide de louer à des ratés pareils.
Je me moquais de ce qu'il disait pour Ron, mais il n'avait pas le droit de traiter ma mère ainsi. - ma mère n'est pas une ratée, ai-je réplique en le fusillant du regard. C'est vous qui en êtes un, espèce de crétin!
Me prenant au dépourvu, il m'a attrapé par le collet et m'a attiré à l'extérieur. J'ai tenté de me défendre, mais il était fort malgré son âge.
-tu ne manques pas de culot! J'ai perdu trois mois de loyer par pitié pour ta mère. Mais je viens de voir Ron ficher le camp avec sa voiture chargée jusqu'au toit et j'ai bien l'impression que je ne verrai jamais mon argent. Je suis sûr que ce n'est pas toi qui l'as, hein?
Il m'a relâche et m'a lancé un regard dur. Je n'avais aucune idée de ce que pouvaient représenter trois mois de loyer, mais je savais que je ne les avais pas. Tout ce que je possédais, c'était cinq dollars en pièces de monnaie et un billet de dix dollars que j'avais trouvé sous le lit quelques mois plut tôt, et qui avait dû tomber de la poche de Ron pendant son sommeil.
-Ron a dégagé les lieux, a craché le propriétaire. Maintenant, tu as dix minutes pour faire de même ou j'appelle la police. Dix minutes ou tu te retrouves en prison!
-Mais ma mère..., ai-je bégaye.
Il s'est un peu radouci et il a haussé les épaules.
-c'est bon. Tu peux prendre la matinée pour appeler ta famille, emballer tes affaires et partir. Mais je veux la place nette à midi. J'ai besoin de faire le ménage pour pouvoir recevoir des locataires potentiels dès demain matin.
Là- dessus, il est parti.
Ma mère n'avait pas de famille. C'est Ron qui était censé s'occuper de moi. Je n'ai jamais connu mon père. Il a décampe avant ma naissance. < Il n'y a rien de mal à être une mère célibataire >, avait-elle coutume de me d'ère. < Tu est le seul homme dont j'ai besoin, je t'aime tellement.>
Je le savais, qu'elle m'aimait, mais, pour une raison ou pour une autre, elle avait laissé Ron s'installer avec nous, et pour quel résultat! Je suppose que l'amour ne rend pas plus intelligent.
Je me retrouvais donc seul, mais je n'allais pas attendre la police. J'ai récupère mon sac de couchage sous le lit. Il datait de mon enfance et n'était pas beaucoup plus épais qu'une serviette, mais c'était mieux que rien. Puis j'ai fourré quelques vêtements dans un sac à dos et, avec pour tout trésor une petite photo de ma mère, j'ai abandonné cet appartement de merde pour n'y jamais revenir. Depuis, je vis dans la rue.
Au début, ce n'était pas si mal: en été, on peut dormir sous les arbres, près de la rivière. Mais le temps a changé et je crois que je serais mort de froid si Lewis ne m'avait pas introduit à la cave. Il m'a sauvé la vie et est devenu mon meilleur ami. C'est pourquoi ça ne me dérange pas de faire certaines choses pour lui, comme de livrer des paquets.
La cave était une portion en ruine d'un édifice situé en arrière de la gare. Un type un peu fou avait commencé la construction d'un centre commercial, mais il n'était jamais allé plus loin que les sous-sols. Lewis disait qu'il avait manqué d'argent.
Un garçon plus âgé, qu'on surnommait Rigger parce qu'il s'appelait Riggins - il était en fait moins un ado qu'un adulte -, avait découvert comment obtenir l'eau courante sans que personne s'en rende compte en détournant une canalisation. Rigger faisait payer cinquante cents à ceux qui passaient la nuit là, mais ça valait la peine. Les rats de cave n'étaient pas comme les autres sans-abri : ils avaient un endroit ou dormir.
J'ai quitté Cedarview Park et la patinoire extérieure, puis j'ai traîne mes savates pendant une vingtaine de minutes et je suis arrivé à l'allée que Lewis m'avait fait découvrir et qui conduit droit au marché. J'avais l'intention de ramasser au moins deux dollars aujourd'hui et il me fallait trouver un bon emplacement près de la porte principale. Alors j'aurais de quoi payer le loyer de la nuit à Rigger et je pourrais m'acheter des buns chinois, et peut-être même une boisson.
La veille, j'étais arrivé trop tard et j'avais dû me rabattre vers l'arrière du marché, où il y avait peu de passants. Seuls les radins sortaient par cette porte pour éviter d'avoir à donner aux gamins des rues qui les harcelaient de l'autre côté.
J'aurais bien aimé me retrouver tout de suite à la cave, mais Rigger était intraitable sur ce point : nous devions déguerpir le matin avant neuf heures, et nous ne pouvions pas rentrer avant cinq heures. On en était loin. Je serais transformé en glaçon bien avant. Saleté de temps. J'ai fait sonner mes deux pièces dans ma poche. Assez pour payer ma nuit, mais pas pour manger. Et mon estomac était un trou noir qui me rongeait, comme une démangeaison qu'on ne peut pas gratter.