Samedi 7 Mai - 00 h 03 - Acte 17 - La crypte . Nous quittons la nef du Druide, et tandis que nous tournons, tournons, autour de cet vis d'escalier en colimaçon qui nous ramène dans la petite bibliothèque étriquée, encombrée. La tête me tourne. Edouard se dirige vers le téléphone du comptoir et compose sur le cadran un numéro. Son index venant précipitamment se loger dans le cadran percé décrivant un arc de cercle, 7 cliquetis de durées differentes résonnent interrompu par l'index qui buttent à la base du cadran. Les 3 premiers sont pour l'indicatif et les 4 suivants, pour le numéro. Nous sommes dans la pénombre du magasin fermé, éclairé par les lumières en provenance de la rue. - Allo ? Jonathan ? oui... alors ? ... demain 10 heures, entendu, merci ! À tout à l'heure. Tout à l'heure ? je regarde ma montre 00h 08 ! merde ! nous sommes déjà samedi. Le temps passé chez le Mérovingien c'est écoulé extrêmement vite. À croire que nous étions autre part... étrange ? un mystère de plus. Nous ressortons, le pavé est luisant, la nuit moite. Les chromes rutilants de la Mercedes se détachent dans l'obscurité, éclairés par un lampadaire qui grésille et sa nuée d'insectes nocturnes. Une enseigne lumineuse défaillante clignote, comme si elle voulait nous signaler un danger imminent. Edouard prends le volant de sa voiture, il ne veut laisser personne d'autre que lui la conduire. Sa conduite est brusquée, empressée et désagréable. La tension qui monte se fait ressentir dans la moindre de nos actions. Le manque de sommeil, des bouleversements voir des changements radicaux sur nos convictions font de nous des êtres perturbés. Nous avons eu beaucoup de mal à décider où aller. Pour résumer, nous devons nous rendre à Montmartre, dans la crypte, pour le corps de mon père; au café du Trianon, à Versailles; dans la maison rue des Acacias, à Puteaux et enfin nous reposer à Compiègne. Cette nuit, nous ne pourront pas tout faire. Il est clair que nous garderons le domicile de mon père pour la fin. La proximité de Montmartre fait pencher la balance, et, alors que nous nous stationnons place Saint-Pierre, au pied du square Louis Michel avec ses escaliers et ses terrasses menant vers le sacrée Coeur. La rue en sens unique, noire, étrange, entre ces maisons bourgeoises et de vieux arbres sombres frémissants avec un léger vent, nous mettent au abois. Une musique de guinguette, un brouhaha festif nous parviennent parmi les bruits de rares véhicules ou aboiement de chiens lointains. Alors que nous entamons notre ascension, des miaulements aigus, une chute de poubelle nous fait tressaillir. Deux ombres félines détalent d'un manège de chevaux de bois vers la rue Ronsard. Les sens aux aguets, nous continuons de monter les grands escaliers sombres. Les Dômes noirs se détachent à la lisière de la dernière marche et son influence Romano-Byzantin est là : une évidence. Cette bute sacrée dégage quelque chose ... Depuis toujours la colline de Montmartre a été un lieu de culte : paganisme gaulois. Mon essoufflement me fait regretter l'heure tardive et la fermeture du funiculaire. Le lanterneau formé d'une colonnade d'habitude si blanc, est ce soir sombre. La basilique se dévoile bientôt à nous. Massive, écrasante tels une bête géante issue d'un cauchemars de dément, agonisante, couchée sur son flanc. Au fur et à mesure de notre approche, la grandeur du bâtiment nous interpelle, et je pense à l'abnégation, la dévotion, l'immensité de cette foi, le sacrifice de ces hommes. La folie humaine pour la religion m'accable. Je me rappel maintenant un détail, lors d'une précédente visite, il y avait de cela bien longtemps. C'était avec ma mère, en été. - Sais tu Jean, que la plupart des églises ont une orientation Est-Ouest, celle de la basilique est Nord-Sud, tourné vers Notre-Dame qui est située dans l'alignement de l'édifice. Ha ! oui, je me rappel cette anecdote racontée par le guide: elle a une forme de croix grec. En général, les églises de confession chrétienne orthodoxe ont un plan d'église de cette forme. Mon père se trouvait là, dans la crypte. Lui seul aurait pu éclairer ma lanterne sur les mystères de cette édifice et son choix pour se réfugier n'était pas anodin. Nous passons devant le portail, un ensemble de trois voussures partent en demi-cercle prenant appui sur les piédroits et ils forment ainsi le péristyle à trois baies. Edouart chuchote : "regardez entre les arcades, les 4 anges. Ils représentent les 4 vertus cardinales : la prudence ( miroir et compas ) Justice ( épée et balance ), la force ( tour et serpent maîtrisé ), la tempérance ( ceinture et pendule ). Nos têtes vont de gauche â droite et tentent de scruter la noirceur: personne en vue. Nous longeons les contreforts, afin de trouver une porte plus honorable dans ses dimensions. - Ha ! voilà, celle-ci devrait faire l'affaire. Je sort un pied de biche emprunté au manoir de Tchang. Je le glisse entre la chambranle et l'ouvrant et pousse de tout mon corps... Mmmmm... rien. Je recommence...Mmmmmm... rien. C'est trop costaux. - Mais enfin l'amie, poussez vous, espèce d'incapable. " Paul s'immisce entre le mur et mon épaule, me repousse afin de prendre ma place. Il s'arc-boute de tout son poids et un craquement se produit. Il pousse la lourde porte en chêne massif, renforcée de pentures et de clous forgés. Pas si incapable, il a encore de la force et du savoir faire le manchot. Nous nous engouffrons et refermons rapidement la porte, la bloquant avec un prie-dieu et son assise en paille de seigle. L'immensité du lieu se ressent, mais nous ne voyons presque rien. Un léger gris foncé souligne le début des colonnes sur une hauteur d'une dizaine de mètres, le reste, baigne dans l'obscurité la plus totale. Ce grand vide est là, il nous oppresse. Je gonfle à bloc mes poumons, marque un temps d'arrêt, puis expire profondément afin de me détendre. Un cliquetis résonne, la lampe diffuse un faisceau jaunâtre, et éclaire les rangs de chaises numérotées, les chaires en marbre de Carrare finement scultées de passage biblique, quelques tableaux du chemin de croix, via crucis, apparaissent sur le mur du déambulatoire. La vision du visage plein de souffrance du Christ me donne mal au ventre. La voûte en berceau reste invisible, tant l'édifice est grand. Un panneau de bois, avec une lettrine gothique indique la direction de la crypte. Nous marchons à pas feutrés mais le moindre faux pas prends des ampleurs étranges. Paul de son bras ballant, vient d'heurter un prie-Dieu. Le crissement des pieds sur le carrelage fait un tintamarre et déclenche une volée de "chut" et un "putain, merde" fait échos. Trois lampes taillent et dansent du tempo de notre marche furtive à travers le vaisseau central. Nous nous rendons vers le sauts-de-loup de gauche. Nous arrivons devant deux grandes portes en bronze, copie de celles du baptistère de Florence. Je dépose un billet de 100 franc dans un tronc, un geste désuet pour pardonner mon entrée illicite. - Sheila, c'est pour toi et tout tes péchés." Je glisse un deuxième billet d'un sourire taquin. Elle me lance des yeux revolvers. Edouard pousse la double porte. Ouf ! je soupire, elle est ouverte. Je n'ose imaginer mon don, si la porte de la crypte aurait été fracturé. Une volée de marche de marbre s'enfonce dans les profondeurs, ainsi qu'une voûte en demi-berceau. Le froid glacial et humide nous frappe le visage. Hésitant'et lentement nous nous engageons, pas après pas, nous nous sommes enfoncés sous l'église. Les filaments des lampes donnaient un effet marbré à notre lumière jaune. Malgré cela, je sentais le danger de cette noirceur, des coins lugubres, des pans qu'aucune lumière ne pouvait transpercer. Je sentais cette odeur de mort. Pris de panique, mes yeux cherchaient dans un mouvement désordonné, tout comme mes gestes, le bouton d'éclairage de la crypte. Et la lumière fut... ma peur s'estompa, mais pas suffisamment pour m'empêcher de scruter les parties sombres. Mon Dieu ! des silhouettes et des ombres se détachent... Mon pou s'accélère, je tend la main pour arrêter Edouard. Je laisse dessiner un léger sourire en découvrant des statues. Devant, un hôtel, Le Christ mort glisse vers le sol tandis que sa mère retient son bras. Elle prend à témoin le ciel... comme pour entraîner vers le haut celui qui tombe... Un éclat sous l'hôtel attire mon regard: il est orné en son centre d'une mosaïque du Christ couronné d'épines mais triomphant avec une dorure jaune étincelant . Elle prend un étonnant relief avec toute ces pierres grises. Il y a aussi d'impressionnantes statues de tout les fondateurs de la basilique. Le cardinal Guibert à genoux, émerge de sa cape qui moutonne derrière lui. Sa crosse dépasse des vêtements qui semble le protèger comme une armure. Il tient dans ses mains le Sacré-Coeur qu'il tend vers le ciel. Le Cardinal Richard à genoux, avec ces vêtements sacerdotaux, le visage souriant et les mains aux doigts imbriqués.On a l'impression qu'il se réjouit d'un mauvais coup qu'il viendrait de faire! Enfin, un Christ de bronze sur un linceul de pierre noire... avec au-dessus, les noms des membres du "Cercle du Sacré Coeur", morts pour la France. Nous arrivons en bas et découvrons toute la crypte. Au centre, au niveau du sol , un brouillard épais et inquiétant à l'air de se dissiper. - "Ya un truc qui flotte ! C'est un corps !" Lance soudain Paul - "Oui, c'est ton père, c'est Ja... Jacques... " Sheila s'est arrêtée , blanche, les jambes prêtes à lâcher. - Mais on dirait qu'il flotte... mais oui... comment est-ce -possible ? Edouard c'est légèrement baissé et scrute en dessous du corps flottant, le pan de chemise pendant dans le vide. - "Putain, ça me fou les j'tons.. " Paul recule à petit pas en arrière, et prend Sheila dans ses bras pour la soutenir, alors qu'elle essuie des larmes. Notre arrivé à boulversé les courants, et la brume se dissipe en volute, découvrant du même coup le corps en lévitation. Notre stupeur est total. Je mets quelques minutes avant de reprendre mes esprits. Puis, je me décide à m'avancer, tout doucement à travers cette brume. Je m'avance prudemment vers mon père, et remarque un médaillon à cinq branches, constitué d'une sorte de matériau poreux et multi-couleurs au dominante pourpre. Comme c'est étrange, je ne l'ai, de son vivant, jamais vu avec ce bijou. Son visage est serein, blanchâtre presque d'albâtre. La seule chose qui puisse le différencier de toutes ces statues. C'est outre son effet cireux, mais aussi l'odeur de mort qui en émane. Brrr, j'en ai froid dans le dos, mais le fait de le voir apaiser, et en sécurité de ses tortionnaires me rassure. Je m'approche pour le toucher. Il est glacial comme une pierre tombale, comme la mort, comme un être dont le tumulte de la vie à cesser d'animer l'enveloppe. Son esprit n'est plus de ce monde, et ne le sera jamais plu. Je réalise avec un grand désespoir qui submerge mes émotions que je ne le reverrai plus. Il vivra dans mes pensées, mes rêves, mes souvenirs... Mais dans ce monde, je ne pourrai plus jamais l'entendre, le sentir, le voir, rigoler avec, vivre... Seul, l'odeur de sa mort, persistera jusqu'à ce que moi aussi, je m'éteigne... Edouard, me voyant le toucher sans danger, s'enhardi. Il s'approche à son tour et tente de le bouger, mais rien y fait. - " Mince, il bouge pas d'un poil..." Lui aussi remarque après quelques secondes, le pentacle à cinq branches, Il s'apprête à l'enlever. - " Non ! laisse le ! Je pense que c'est une protection. Laisse le en paix, nous ne pouvons plus rien pour lui. Là, il est en sécurité et en paix. Partons mes amis, nous n'avons rien à faire ici. Notre destin est ailleurs. Notre destin, n'est pas ici... Notre destin, nous attends... Il nous attends dans un autre monde.